Inspirer l’espoir et accélérer le changement pour faire face à la crise de l’insécurité alimentaire.
Par Sarah Stern, directrice générale, Centre de Maple Leaf pour la sécurité alimentaire
Le 16 novembre, le Centre de Maple Leaf pour la sécurité alimentaire a eu le plaisir de tenir son quatrième Symposium annuel sur la sécurité alimentaire. Plus de 160 personnes issues des autorités gouvernementales, du secteur privé, du milieu universitaire et de la société civile se sont réunies à Toronto pour se pencher sur des approches intersectorielles visant à faire face à la crise de l’insécurité alimentaire au Canada qui ne cesse de s’aggraver.
Le Centre de Maple Leaf pour la sécurité alimentaire : (le « Centre ») a été créé en 2016 avec pour mission de réduire de moitié l’insécurité alimentaire au Canada d’ici 2030. Dans mon mot d’ouverture, j’ai dit qu’il s’agissait d’un objectif ambitieux et audacieux, d’autant plus que l’insécurité alimentaire au Canada n’a fait qu’empirer au cours des dernières années. À l’heure actuelle, près de sept millions de Canadiens, dont un enfant sur quatre, sont en situation d’insécurité alimentaire.
Pour atteindre cet objectif d’ici les sept prochaines années, nous devons agir plus rapidement que jamais. Et nous avons de nombreuses raisons de croire que nous en sommes capables, en particulier si nous travaillons ensemble.
Cette année, le Symposium sur la sécurité alimentaire visait à faire la lumière sur certains éléments porteurs d’espoir, comme la politique progressive mise de l’avant à Terre-Neuve-et-Labrador et la Prestation canadienne pour les personnes handicapées, le développement de programmes de prescription alimentaire, l’accès simplifié aux prestations gouvernementales et des exemples de mouvements qui ont réussi à réduire la pauvreté chez les enfants. Nous avons conclu la journée en appelant le public à se joindre à nous pour exhorter le gouvernement fédéral à fixer un objectif de réduction de l’insécurité alimentaire. Nous savons que les objectifs audacieux poussent à l’action, et nous pensons que c’est ce qu’il faut faire pour provoquer le changement.
Michael McCain, président honoraire du Centre, a donné le coup d’envoi au Symposium en implorant les gouvernements, le secteur privé et la société civile de faire de la crise actuelle une priorité. « Nous devons travailler ensemble à l’établissement d’objectifs clairs et réalisables visant à réduire l’insécurité alimentaire de 50 % d’ici 2030 et à éliminer l’insécurité alimentaire grave. Cela nous donne sept ans, soit assez de temps pour apporter les réformes nécessaires aux programmes et aux politiques publiques, obtenir la collaboration des parties prenantes et intensifier les interventions ayant des effets durables. Nous devons nous mobiliser de toute urgence. »
Analyser les données sur l’insécurité alimentaire
Lors de la première séance de la journée, les conférenciers ont exploré le lien entre pauvreté et insécurité alimentaire. Ma collègue Merryn Maynard, gestionnaire des retombées sociales, s’est entretenue avec les experts Andrew Heisz, directeur du Centre de la statistique du revenu et du bien-être socio-économique de Statistique Canada, Geranda Notten, professeure d’analyse comparative des politiques publiques à l’Université d’Ottawa, et Sharanjit Uppal, économiste recherchiste principal à Statistique Canada.
L’un de leurs principaux constats est que bon nombre des outils que nous utilisons pour mesurer la pauvreté et l’insécurité alimentaire au pays n’arrivent pas à rendre compte de la complexité des circonstances qui mènent à ces situations. M. Heisz a affirmé qu’« on désigne souvent les gens comme étant uniquement en situation d’insécurité alimentaire, et non de pauvreté. Au Canada, certains groupes sont plus à risque que d’autres d’être en situation de pauvreté ou d’insécurité alimentaire. C’est le cas des populations autochtones et racisées. »
M. Uppal a indiqué qu’étonnamment, huit familles en situation d’insécurité alimentaire sur dix vivent au-dessus du seuil de pauvreté et ne peuvent donc pas profiter de nombreux programmes et politiques. « On pense que l’insécurité alimentaire touche principalement les personnes vivant sous le seuil de pauvreté, mais ce n’est pas nécessairement le cas. »
Des politiques publiques prometteuses
Saviez-vous que 22 % de la population canadienne a un handicap et que 46 % de ces personnes vivent sous le seuil de pauvreté? Et saviez-vous que 50 % des personnes en situation d’insécurité alimentaire vivent avec un handicap? Seulement 59 % des personnes handicapées occupent un emploi, même si beaucoup plus sont aptes à travailler moyennant des mesures de soutien appropriées. C’est ce qu’a révélé Krista Carr, vice-présidente à la direction d’Inclusion Canada, durant sa présentation sur la promotion de politiques progressives.
En compagnie d’Aisling Gogan, sous-ministre adjointe au ministère des Enfants, des Aînés et du Développement social du gouvernement de Terre-Neuve-et-Labrador, et du Dr Kwame McKenzie, directeur général du Wellesley Institute, David Herle, associé principal du Gandalf Group, a animé une discussion intéressante sur les politiques publiques susceptibles d’avoir une grande incidence sur la réduction de l’insécurité alimentaire.
De concert avec de nombreuses organisations de lutte contre la pauvreté et de défense des droits des personnes, le Centre réclame la mise en œuvre de l’une des politiques en question : la Prestation canadienne pour les personnes handicapées. Cette prestation permettrait aux Canadiens handicapés de se sortir de la pauvreté et de l’insécurité alimentaire en leur garantissant un revenu de base stable pour couvrir les dépenses de première nécessité, comme le loyer, la nourriture et les frais médicaux. Les personnes handicapées bénéficiant de l’assistance gouvernementale actuelle s’endettent et sont souvent contraintes de sauter des repas en raison du peu d’argent qu’il leur reste à la fin du mois après avoir payé le loyer et les factures importantes.
« Nous attendons avec impatience la mise en œuvre de la Prestation canadienne pour les personnes handicapées, et cette attente bloque l’avancement d’autres mesures », a déclaré Mme Gogan lors de la discussion sur cette politique.
Aisling a également parlé des nouveaux efforts déployés à Terre-Neuve-et-Labrador pour agir sur les déterminants sociaux de la santé, notamment l’expansion d’un programme de stabilité de l’emploi, l’augmentation du soutien offert aux familles avec de jeunes enfants pour réduire la pauvreté et l’insécurité alimentaire chez les enfants et la création de programmes garantissant un revenu de base auprès des personnes de 60 à 64 ans et des jeunes qui quittent leur foyer d’accueil. Nous vous donnerons bientôt des précisions sur les partenariats en place à Terre-Neuve!
Prescrire des aliments pour lutter contre l’insécurité alimentaire et les inégalités en matière de santé
Lors de la troisième séance de la journée, nous avons étudié l’incidence des programmes de prescription alimentaire sur l’amélioration de la santé et de la sécurité alimentaire aux États-Unis. Étant donné que la moitié des problèmes de santé des Canadiens sont liés aux déterminants sociaux de la santé, les prescriptions alimentaires constituent un moyen novateur de favoriser une alimentation saine chez les populations vulnérables.
À titre de modérateur, Evan Fraser, directeur de l’Arrell Food Institute de l’Université de Guelph, s’est entretenu avec Brent Ling, directeur des affaires externes à la Wholesome Wave Foundation, Laura Fischer, professeure adjointe de recherche au Children’s National Hospital et à la School of Medicine and Health Sciences de l’Université George Washington, Taylor Newman, directrice de la nutrition à Kroeger et Ronit Ridberg, professeure adjointe à la Friedman School de l’Université Tufts.
Ces experts ont partagé leurs connaissances approfondies sur l’implantation et l’évaluation des programmes de prescriptions alimentaires et ont parlé de la possibilité d’intensifier ces programmes aux États-Unis. Mme Fischer a déclaré qu’elle pense que les cliniciens devraient jouer un rôle plus actif dans la lutte contre l’insécurité alimentaire. « L’objectif est de recueillir assez de données pour démontrer que les prescriptions alimentaires constituent une prestation médicale couverte. »
Mme Ridberg a indiqué que, parmi un groupe de personnes en situation d’insécurité alimentaire qu’on avait sondé, 66 % étaient intéressées par un programme de prescription alimentaire. « Je pense qu’il y a une énorme demande d’aide, tant aux États-Unis que dans d’autres pays. La question est de savoir comment répondre à cette demande. » Interrogé par le public sur l’efficacité des prescriptions alimentaires par rapport à l’octroi d’une aide financière directe aux familles pour leur permettre de joindre les deux bouts, Brent Ling s’est inspiré de Michael McCain en faisant remarquer que ces solutions peuvent se compléter au lieu de s’opposer, et qu’il est important de saisir les occasions qui s’offrent à nous pour faire changer les choses.
Tirer des leçons de l’élaboration lente, mais réussie de l’allocation canadienne pour enfants
Dans notre dernière présentation de la journée, trois experts en matière de prestations pour enfants et de réduction de la pauvreté ont parlé du mouvement qui a conduit à une réduction significative de la pauvreté chez les enfants entre 2015 et 2022 – où près d’un siècle de changements de politiques répétitifs a abouti à l’instauration de l’allocation canadienne pour enfants.
Animée par Anita Khanna, directrice nationale des politiques publiques et des relations gouvernementales à United Way Centraide Canada, la table ronde a réuni Matthew Mendelsohn, professeur invité à l’Université métropolitaine de Toronto, Michael Mendelson, Maytree Fellow et Laurel Rothman de Mazon Canada.
La discussion a porté sur l’importance de trouver le moment idéal pour provoquer des changements durant les occasions favorables et sur les éléments essentiels à l’élaboration de politiques efficaces. « Parfois, nous devons créer nous-mêmes l’occasion. Par exemple, la fin de semaine précédant la rentrée scolaire était un moment idéal pour attirer l’attention sur la pauvreté chez les enfants. Et d’autres fois, il s’agit de trouver le bon moment pour saisir une occasion », a expliqué Mme Rothman. M. Mendelsohn a parlé de la nécessité d’élaborer des politiques bien documentées aux répercussions réfléchies, car « le diable se cache dans les détails ».
« L’élaboration d’un programme aussi réussi et bien pensé que l’allocation canadienne pour enfants ne s’est pas faite du jour au lendemain, a affirmé M. Mendelson. Pour aboutir à une politique stable et sensée qui peut faire l’unanimité, il faut faire du bon travail en amont. Ce travail s’est appuyé sur l’expérience des programmes précédents et sur une vision claire des objectifs à atteindre. »
Puiser dans l’expérience des personnes confrontées aux obstacles à la sécurité alimentaire
Tout au long de la journée, nous avons également accueilli des personnes qui ont partagé leurs expériences concernant l’élimination des obstacles à l’emploi, la vie dans une communauté éloignée, l’obtention de prescriptions alimentaires et l’accès aux prestations gouvernementales.
Merci à Wilson Peinado et Veronika Shepotko de Harvest Manitoba, Cheryl Antonio et Tasha Monkman de la Northern Manitoba Food, Culture & Community Collaborative, Phoebe Lee et Nerlande Bennett du Black Creek Community Health Centre, et Nicole Neeson et Stephanie Greco de la Marche des dix sous. Vos expériences percutantes nous ont grandement éclairés.
Lynda Kuhn, présidente du Centre, a conclu la journée en soulignant que « la souffrance vécue par les personnes qui ont de la difficulté à se nourrir et à nourrir leur famille, ainsi que l’ampleur du phénomène de l’insécurité alimentaire, nous poussent à mettre rapidement en place des politiques et des programmes efficaces. » Elle a ajouté : « Nous devons mettre en place un filet de sécurité sociale solide, durable et accessible. Nous disposons des ressources, de l’expertise et de la volonté publique. Tous les paliers de gouvernement doivent faire preuve de leadership. »
Merci encore à tous ceux qui ont participé à notre Symposium sur la sécurité alimentaire. Nous sommes impatients de travailler ensemble pour prôner la réduction de l’insécurité alimentaire.