Faire la lumière sur la situation de l’insécurité alimentaire au Canada et le besoin d’une action collective.
Sarah Stern, directrice de l’engagement communautaire et directrice générale du Centre de Maple Leaf pour la sécurité alimentaire
Il y a presque sept ans et demi, le Centre de Maple Leaf pour la sécurité alimentaire (le « Centre ») voyait le jour. Nous avions établi l’objectif ambitieux et audacieux de collaborer avec des intervenants de plusieurs secteurs afin de réduire de moitié l’insécurité alimentaire au Canada d’ici 2030.
Lors du lancement du Centre en 2016, quatre millions de personnes avaient de la difficulté à se procurer les aliments dont elles avaient besoin, soit un foyer sur huit. Un nombre ahurissant et inacceptable.
Mais, sincèrement, nous n’avions aucune idée de ce que l’avenir nous réservait.
Ensemble, nous avons beaucoup appris et rapidement. Nous avions la chance d’avoir le soutien de nombreuses personnes et organisations. Bien que j’aie consacré la plus grande partie de ma carrière au changement social, je dois avouer avoir abordé de façon très naïve le problème d’insécurité alimentaire et les mesures à prendre pour le résoudre. J’ai rapidement constaté que le problème était beaucoup plus complexe que nous l’avions cru, et qu’il ne pouvait être résolu en augmentant la quantité d’aliments ou le nombre de programmes caritatifs.
Chaque année, le Centre organise annuellement un Symposium sur la sécurité alimentaire où nous abordons le problème de l’insécurité alimentaire au Canada. À notre tout premier Symposium en 2018, un des conférenciers a fait remarquer que de nombreux facteurs font en sorte qu’une personne se trouve en situation d’insécurité alimentaire et qu’il faut plus d’une solution pour résoudre le problème.
Pendant quelque temps, plus j’en apprenais sur la situation, plus j’envisageais cet objectif ambitieux avec appréhension – il me semblait un peu trop audacieux puisque, selon moi, nous pouvions faire trop peu. Cette cible était différente des objectifs que nous établissons comme entreprise, ceux que nous pouvons mesurer et directement influencer.
Pauvreté et insécurité alimentaire au Canada
En 2018, le gouvernement canadien annonçait sa stratégie de réduction de la pauvreté visant à réduire celle-ci de moitié. J’ai alors poussé un soupir de soulagement : « C’est ce dont nous avions besoin. Avec cette stratégie, nous y parviendrons ». Je ressentais alors plus d’assurance lorsque je parlais de l’objectif que nous avions établi.
Toutefois, un an plus tard, j’ai compris que la réduction de la pauvreté n’entraîne pas nécessairement une réduction importante de l’insécurité alimentaire. En fait, nous savons maintenant que 80 % des personnes en situation d’insécurité alimentaire ont un revenu annuel supérieur au seuil de pauvreté.
En 2020, alors que nous affrontions tous ensemble la pandémie de la COVID-19, le concept d’insécurité alimentaire se précisait.
Cette même année, nous avons lancé notre première étude annuelle pour connaître les points de vue des Canadiens sur divers problèmes sociaux. Nous leur avons demandé leur avis sur des questions qui les touchaient, et pour 12 % des répondants, la capacité d’acheter des aliments pour leur famille était une préoccupation principale. L’an dernier, ce pourcentage s’élevait à 29 %.
Une sonnette d’alarme pour la réduction de l’insécurité alimentaire
Au cœur de la pandémie, nous avons été témoins d’une collaboration de très haut niveau dans tous les secteurs. Et des mesures rapides ont été prises. Les gens disent souvent que la mise en œuvre des programmes et des politiques du gouvernement prend beaucoup de temps, mais la Prestation canadienne d’urgence a été rapidement accordée, ce qui a été vital pour bon nombre de Canadiens. Il est donc possible d’aller rapidement de l’avant lorsque nous devons agir.
Nous nous attendions à d’importants changements sociétaux après la pandémie. Nous avons probablement tous utilisé l’expression « reconstruire en mieux » plus d’une fois. Mais, pour la plupart des gens, la réalité postpandémique a été tout autre. L’inflation et la hausse des coûts ont réduit de manière draconienne la capacité des Canadiens de couvrir les dépenses de première nécessité.
Les statistiques sont plutôt effrayantes.
Selon les données officielles sur l’insécurité alimentaire — recueillies au cours des six premiers mois de 2023 — 8,4 millions, soit 22,9 % des Canadiens, dont plus d’un enfant sur quatre, sont en situation d’insécurité alimentaire.
L’an dernier, le recours à des banques alimentaires au Canada a augmenté de 30 % : allant jusqu’à 40 % en Ontario et 50 % à Toronto! Dans cette ville, le nombre de nouveaux utilisateurs a augmenté de 154 %, une personne sur dix fréquente dorénavant une banque alimentaire*.
Pourquoi l’indignation devant un tel constat n’est-elle pas plus grande?
L’insécurité alimentaire exerce une forte pression sur les travailleurs dans le secteur. Les personnes en première ligne de la crise d’insécurité alimentaire avec qui j’ai discuté parlent d’épuisement et de peur et n’ont plus grand espoir de voir un changement.
Mais comment créer de l’espoir? Nous pouvons établir des ponts entre secteurs et gouvernements. Nous pouvons réfléchir à ce que nous devons accomplir de plus en travaillant ensemble et en nous fixant d’ambitieux objectifs.
Accélération du changement vers la faim zéro au Canada
J’en reviens à l’objectif établi au lancement du Centre. Il nous reste maintenant six années pour l’atteindre. Je crois que la voie pour y parvenir existe et le sentiment d’urgence que je ressens est plus grand que jamais. Je sais également que nous devons nous faire entendre plus fort. C’en est fini de l’appréhension à agir. Les objectifs audacieux pour accomplir l’impossible sont appelés BHAG — Big Hairy Audacious Goals — pour une raison : ils représentent quelque chose de très important à atteindre et auquel il faut travailler. Après tous, les objectifs et les cibles fonctionnent en aidant à orienter les actions.
La stratégie de réduction de la pauvreté du gouvernement fédéral a pour objectif de réduire la pauvreté de moitié d’ici 2030 – et de grands pas ont été accomplis en ce sens. Des programmes comme l’allocation canadienne pour enfants ont aidé de nombreuses familles à dépasser le seuil de pauvreté. Et cette semaine, il y a eu l’annonce d’un engagement d’un milliard de dollars pour un programme national d’alimentation scolaire visant à aider les enfants à apprendre et à s’épanouir! Voilà aussi pourquoi le Centre plaide en faveur de la prestation canadienne pour les personnes handicapées, qui pourrait contribuer à sortir de la pauvreté et de l’insécurité alimentaire les personnes en situation de handicap. L’objectif du gouvernement fédéral a poussé à l’action.
Une forte majorité de Canadiens sont d’avis que les gouvernements doivent agir maintenant pour s’attaquer sérieusement aux problèmes sociaux comme la pauvreté, le racisme et les inégalités. En fait, selon 81 % des répondants à un récent sondage*, les gouvernements doivent en faire plus pour aider les gens vivant dans la pauvreté et souffrant de la faim. Cinquante-huit pour cent (58 %) des répondants ont choisi « aborder l’insécurité alimentaire » plutôt que « réduire les impôts et les taxes de vente » dans une question proposant deux choix.
Nous savons que des objectifs clairs favorisent la responsabilisation et l’harmonisation. Nous savons aussi que nous devons exploiter cette volonté nationale de changement.
Au cours des dernières années, de plus en plus d’organisations ont commencé à recommander que les gouvernements s’engagent à réduire de moitié l’insécurité alimentaire. Nous plaidons cette cause en collaboration avec les Centres communautaires d’alimentation du Canada et Banques alimentaires Canada, et, en décembre 2023, nous avons publié un appel à l’action que près de 60 organisations de divers secteurs ont signé.
Nous devons accélérer ce changement – il reste beaucoup à faire pour réduire l’insécurité alimentaire et atteindre la faim zéro au Canada. Mais, en travaillant ensemble dans tous les secteurs vers un objectif harmonisé, nous ne pouvons être ignorés, et nous pouvons pousser à l’action.
* Sources :